Deux pièces en un acte d’Anton Tchekhov associées pour faire entendre cette « langue qui suggère », comme la décrit la jeune metteure en scène Maëlle Poésy. Après sa sortie de scène et quelques heures d’ivresse, Svetlovidov s’endort dans sa loge. Lorsqu’il s’y réveille en pleine nuit, il est seul et apeuré dans le théâtre vide dont il ne peut sortir. Du souffleur qu’il rencontre en cherchant de l’aide, il fait le confident de son passé glorieux. Tout comme Le Chant du cygne, L’Ours convoque des personnages « suspendus dans un temps présent entre nostalgie de ce qui n’est plus et espoir de ce qui n’est pas encore ; des moments d’entre-deux, avant les décisions qui font basculer une vie d’un côté ou d’un autre ». On y parle, sous forme de comédie, de l’expérience du deuil et de la renaissance amoureuse. Et l’on explore le lien si fin entre fiction et réalité, l’amoncellement de sentiments, d’histoires, de vies que portent les scènes de théâtre, ceux des personnages et des mots de leurs auteurs, ceux des spectateurs qui les reçoivent, ceux des acteurs qui les portent. Maëlle Poésy, en mettant ces textes en miroir, aborde les cycles du temps, les grandes pertes et les éternels recommencements, citant Rilke : « Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »
Tchekhov dit magnifiquement ce regard que nous portons sur le temps qui passe, son écriture embrasse souvent dans une même réplique le comique et le tragique de nos existences. C’est une chose auxquelles nous nous sommes attachés dans les choix d’adaptation que nous avons faits avec Kevin Keiss : le rythme de l’écriture, la pluralité du sens contenu dans chaque phrase. En rassemblant ces deux pièces de deux registres différents, il s’agit pour moi de rendre sensible ce rapport au temps qui porte autant à rire que à pleurer.
Maëlle Poésy
D’Anton Tchekhov
Texte français Georges Perros et Génia Cannac
Adaptation Maëlle Poésy et Kévin Keiss
Mise en scène Maëlle Poésy
Avec Benjamin Laverhne, Gilles David, Julice Sicard, Christophe Montenez
Dramaturgie Kevin Keiss
Scénographie Hélène Jourdan
Création lumière Jérémie Papin
Création son Samuel Favart Mikcha
Production Studio de la Comédie Française
Coproduction Compagnie Drôle de Bizarre
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National.
Durée 1h