À l’occasion de son exposition, Sofiane Boukhari nous livre un récit poignant et visuel de ses racines algériennes, à travers des portraits de jeunes vivant aujourd’hui en Algérie. À découvrir du 16 janvier au 05 février au Parvis Saint-Jean.
Photographe et designer textile, son travail fait écho à un parcours personnel, marqué par le silence et les non-dits, ainsi qu’une quête de son identité. À travers ces images, Sofiane Boukhari nous invite à une réflexion sur l’identité, l’héritage et la diaspora, dans un rapport personnel à la fois intime et universel.
- 100 RUE DE LA CHAPELLE, APPARTEMENT 157 -
« Dans la matinée du 30 août 2022, l’homme qui occupe le logement situé au 15 ème étage – depuis 40 ans – décède brutalement. Cet homme – plus ancien occupant – de la dernière tour parisienne à la lisière du périphérique, c’est mon père.
Je ne l’ai que très peu connu. À ma naissance, j’ai été placé en famille d’accueil. Les rares fois où je le voyais, nous partagions un café et une cigarette chez lui. Il me faisait une omelette aux pommes de terre. Nous regardions les informations. En arabe sur Canal Algérie. Je ne comprenais rien et je finissais par m’assoupir.
Mon père parlait peu de lui. Il me racontait la guerre d’indépendance et prenait un ton menaçant quand il parlait de politique.
Je voulais qu’il me parle de sa vie, de notre famille. Savoir où il avait grandit. Connaitre pourquoi il était venu en France, plus de 20 ans après la libération de son pays. Il se taisait.
Si je le questionnais, il me disait « toi, tu es devenu comme les français. Tu poses trop de questions. Je t’ai toujours dit que journaliste ce n’est pas un métier. Mécanicien oui. Menuisier oui. Journaliste tu parles pour ne rien dire »
Je lui demandais si j’avais des frères et des sœurs en Algérie. Il s’énervait.
Le jour de sa mort, je me suis retrouvé seul avec son corps dans l’appartement. Mon père était devenu silencieux. Il ne pouvait plus s’emporter contre moi. J’ai eu la sensation que – à présent – nous pouvions échanger sereinement.
Mon père n’a jamais voulu la nationalité française. Il vivait essentiellement à Paris mais il voulait être enterré à côté de son frère à Sidi Bel Abbes.
Pour rapatrier son corps, il me fallait des informations. J’ai alors cherché des indices parmi les milliers de relevés bancaires, de factures EDF ou de documents médicaux qu’il conservait précieusement depuis 40 ans. J’ai trouvé un numéro de téléphone. Quelques chiffres comme autant de frères et sœurs que j’allais enfin pouvoir connaître.
Tous ces enfants qu’il avait un jour délaissé allaient le ramener jusqu’à chez lui , en Algérie. Auprès des siens.
Mon père me disait : « un jour je t’emmènerai voir ce pays magnifique. Là d’où coule la rivière de ton sang ». Aujourd’hui, c’est moi qui l’accompagne. Je le reconduit là d’où il vient pour enfin rencontrer les miens.
L’exposition retrace mon premier contact avec l’Algérie. Une projection cathartique de l’enfant algérien que j’aurais pu être à travers le portrait de jeunes algériens d’aujourd’hui. Des adolescents du petit port de pêche de Krystel, à une quarantaine de minutes de Oran. Ce village où ma mère est née. »
Sofiane Boukhari
Du 16 janvier au 05 février 2025
Parvis Saint-Jean, rue Danton, Dijon
Entrée libre